Mark@gement

un management humaniste tendu vers les clients

L'Autre

Chef produit
Le chef produit est au cœur des travaux marketing. Dans une interview donnée à un journal, je donnais ma vision comme suit : MARKETING et CHEF PRODUIT INDUSTRIEL

Q : Quelles sont pour vous les principales évolutions qui touchent aujourd’hui le marketing ?
Il n’y a plus, me semble-t-il, de différences substantielles entre le marketing des produits et le marketing des services, ou entre le marketing des affaires et le marketing grand public. Il y a des degrés de pondération entre les leviers sur lesquels on peut jouer, mais pas de concepts fondamentalement exclusifs. J’en veux pour preuve la similitude des concepts utilisés lors de nos opérations de conseil que se soit pour des activités industrielles ou de grand public.

>Q : Entre produits et services ?
Il n’y a plus de produits sans services et je ne vois pas de service sans un minimum de produit. La séparation entre produit et service est de plus en plus artificielle : la coexistence des deux sens du terme “produit” (tantôt l’objet matériel seul, tantôt, d’une manière très ambigu, cet objet accompagné de ses services) traduit cette réalité. En toute rigueur, le produit est un objet matériel, le service a une nature immatérielle

Il a une distinction à apporter entre les produits et services que le client veut acquérir parce qu’il vont lui servir de base pour créer de la valeur et ceux qu’il doit payer pour disposer des premiers sans pour autant pouvoir les valoriser.

C’est pourquoi je parle de “serpro Serpro = Ceux des produits et services qui permettent au client de créer de la valeur.", pour les produits et services utiles au clients et “noval>Noval = Ceux des produits et services qui ne permettent pas au client d'enrichir son offre.” (non valorisable) tous les autres. Parmi ces derniers, on peut encore distinguer ceux qui sont indispensables (coûts de transport ou d’administration) et que l’on peut supprimer sans altérer le serpro Serpro = Ceux des produits et services qui permettent au client de créer de la valeur. (certains sur emballages, non-qualité)

Q : Et entre le marketing de grande consommation et le marketing industriel ?
Le “marketing de filière” est aujourd’hui tout aussi nécessaire pour le marketing de grande consommation que pour le marketing industriel. Le discours traditionnel, et la pratique de trop nombreux professionnels du marketing de grande consommation, font du distributeur (grande surface ou autre) un élément réduit au P de “Place” ou au D de “Distribution” du trop fameux marketing mix. C’est une vue qui ne correspond plus à la réalité : ce distributeur est, le plus souvent, le client de l’entreprise fabriquant le bien de grande consommation, et plus du tout un simple intermédiaire.

Il n’est intermédiaire que s’il est “dans la main” du fabricant et qu’il lui obéit - même s’il est juridiquement indépendant - ce qui, c’est vrai, a été le cas le plus fréquent pendant de nombreuses années. Jadis, le grossiste appliquait le barème que lui fournissait le fabricant, le détaillant lui même appliquait des tarifs qu’on lui préparait. Aujourd’hui, si vous racontez à un responsable d’un supermarché qu’il est une composante de l’offre d’un producteur de yaourts, il vous rie au nez, et vous rétorque que c’est lui le client, et qu’il a son propre client : le consommateur. Ceci ne veut pas dire que le producteur de yaourts  n’a pas à conduire une action sur la ménagère, mais cette action sera de type “pull”, autrement dit elle aura pour objet de lui faire faire pression sur le distributeur. C’est tout à fait le schéma, en plus compliqué, que l’on rencontre dans les biens intermédiaires : je fabrique des polymères que je vends à un transformateur de matières plastiques, mais j’ai des contacts avec le constructeur automobile qui lui achète les pièces en plastique.

Q : On est assez loin du marketing importé des Etats-Unis dans les années 60-70 !
C’est toute une conception du marketing qui est à revoir, celle qui érige en dogme le célèbre marketing mix, dont disons le franchement, je pense qu’il est dépassé avec ses 4 P (Product, Price, Promotion, Place). On peut admettre qu’il place en premier lieu le produit (en lui ajoutant les services), mais pas qu’il fixe ensuite le prix pour ne s’intéresser qu’ultérieurement à la définition des autres composantes du mix. D’ailleurs, le mot “mix” relève du jargon des médecins Diafoirus de Molière : en français, le mix, c’est tout simplement “l’offre”, terme qui a le mérite de la clarté : quand on explique que ce qui importe ce n’est pas le prix du produit mais le prix de l’offre, certains professionnels réalisent soudain pourquoi ils ont tant de mal à valoriser leurs services ! Lorsque l’on parle du prix du produit, on ne peut plus valoriser les services, alors que quand on parle du prix de l’offre on évoque un tout cohérent. Il est d’ailleurs remarquable de noter que nombre de responsables d’entreprises industrielles ne connaissent pas l’expression “marketing mix”… mais savent bâtir des “offres” sophistiquées.

Q : Et pour les achats ?
Oui : aujourd’hui le marketing des achats, en émergence, ressemble étrangement au marketing de vente, et leur rencontre pose le délicat problème du partenariat. Le style de votre marketing dépend alors furieusement de votre conception du partenariat : trop d’acheteurs en font un discours plus qu’une attitude. Le véritable intérêt du partenariat, on peut le justifier par un théorème de mathématiques, issu de la théorie des ensembles, et qu’on doit à un dénommé Bellman : l’optimum d’un ensemble ne correspond que rarement  avec l’optimum de chacun de ses éléments. La véritable approche partenariale est : si toi client (ou fournisseur) tu atteints ton optimum, et si moi fournisseur (ou client) j’atteints mon optimum, nous n’atteignons probablement pas pour autant l’optimum de l’ensemble que nous formons ; au delà de cette satisfaction que nous ressentons, comment trouver l’optimum de notre ensemble pour dégager un surplus dont nous négocierons le partage ? Etre partenaires, c’est être ensemble pour gagner, pour dégager un surplus, pour vaincre dans les batailles qui nous opposent à nos concurrents. Evidemment, cette situation est souvent compliquée par l’existence pour un fournisseur de deux entreprises clientes elles-mêmes concurrentes - mais si un adversaire de mon client est livré par un de mes compétiteurs, je fais tout ce que je peux pour le battre. Je lutte non pas contre mes clients mais contre les “filières” antagonistes, constituées par mes concurrents et ceux de mon client. Encore une fois, tout ceci est applicable aussi bien au marketing industriel qu’au marketing de grande consommation : cet apport de l’économie industrielle que constitue l’analyse de filières complexes doit aujourd’hui être transposé aux situations de la grande distribution.

Q : N’y a-t-il vraiment aucune différence entre la grande consommation et l’industriel ?
En apparence : la complexité du système d'achat est traditionnellement un autre élément caractéristique du marketing industriel. Dans les biens industriels en effet, on trouve souvent toute une série d’individus concernés par l’achat : qu’ils soient au bureau d’études, ingénieur responsable de l’utilisation, ouvrier ou financier, tous ont leur mot à dire, plus ou moins fort. Si en plus il s’agit d’achats importants comme un gros investissement, alors la vente se déroulera en phases successives : essais, homologation, tests pilote, etc. Au cours de ces phases, le décideur va changer, et le marketing se retrouve en situation de gérer un “projet” à configuration variable.

Aujourd’hui, le système de la grande distribution est souvent comparable à ce modèle industriel : on se trouve confronté à de grandes centrales d’achat nationales, qui homologuent votre produit -sans vous passer pour autant commande-, puis à un acheteur local avec lequel il faudra encore négocier, voire avec un chef de rayon qu’il faudra inciter à vous accorder 1,5 mètre de présentoir bien placé plutôt que 1 mètre mal situé. La montée de la complexité des systèmes d’achat me semble être aujourd’hui une tendance générale.

Q : Rien ne différencie la nature de l’achat ?
On a souvent qualifié l’achat industriel de rationnel (par opposition à l’achat plus impulsif du consommateur). Mais cet achat n’est uniquement rationnel que dans le cas où un compétiteur domine largement ses concurrents - on peut alors les trier sur des bases vraiment objectives. Cette situation est de plus en plus rare : la plupart des “mauvais” fournisseurs ont disparu avec la pénurie c’est à dire depuis longtemps, et l’acheteur se trouve le plus souvent confronté à une dizaine de bons, voire très bons producteurs. Même dans le marketing industriel, le choix final se fait de plus en plus sur des bases irrationnelles, ce qui ne veut pas dire illogiques. Et de plus en plus, le marketing industriel devra prendre en compte cette dimension subjective, marginale mais souvent décisive.

Q : Qui sont les acteurs du marketing ?
On trouve encore localement des différences entre la grande consommation et le monde industriel, souvent moins organisé sur le plan du marketing : l’homme clé du marketing industriel, c’est le chef produit, qui se trouve investi d’une mission de coordination et de dynamisation des différents acteurs de l’entreprise impliqués dans son activité. On retrouve ici le théorème de Bellman : il doit amener, généralement sans autorité hiérarchique, ces différentes parties à atteindre un optimum commun au détriment des optimum locaux.

Il se trouve de plus en charge d’une réflexion sur le moyen terme et confrontés à plusieurs choix cruciaux :
Vers qui (quel type de clients) faire porter les efforts de l’entreprise ? Il est en effet illusoire de courir tous les marchés à la fois.

Q : Comment séduire le client ?
Aujourd’hui, le problème est en effet moins de vendre que d’être acheté, de pousser le produit que d’attirer le client, de le mettre en appétit. Quel positionnement adopter ? Quels objectifs concrets fixer ? Quelle offre définir pour “faire craquer” ce client ?

C’est cette offre qui va définir sa véritable activité, aussi bien en termes de Serpro et de Noval , que de Contreparties demandées. Elle va lui permettre de définir les actions à mener envers les clients que je veux séduire, et par suite les moyens qui me sont nécessaires. C’est une des fonctions au cœur de l’activité du chef produit dans le monde industriel.

En résumé, le chef produit industriel anime la coordination au quotidien entre la recherche, la production, le réseau, et propose les orientations à moyen terme. Par comparaison, le monde du grand public connaît souvent une séparation plus tranchée entre le marketing et le commercial.

Q : Il n’est pas seul, pourtant ?
Non, et c’est un autre point vrai pour l’industriel comme pour le grand public : la nécessité de choix réalisés en équipes pluridisciplinaires est aujourd’hui clairement indispensable, et concerne la recherche, la production, le commercial, etc. Pourquoi ce travail  en équipes pluridisciplinaires ? Pour deux raisons, la première est objective, rationnelle : puisqu’il va falloir rechercher l’optimum de l’ensemble et non plus l’optimum des éléments, il faut que chaque fonction puisse s’exprimer, comprendre quelles sont les contraintes et aspirations des autres pour pouvoir participer à la poursuite de l’optimum global. La deuxième est de nature plus psychologique : si des choix, qui sont nécessairement des compromis, sont fait sans ceux qui en assureront la mise en œuvre, alors la chance d’atteindre l’optimum est très faible. Puisqu’ils n’auront pas clairement compris les raisons des arbitrages, ils auront naturellement tendance à revenir vers ce qu’ils pensent légitimement être l’optimum, c’est-à-dire le leur.

Q : Mais sur quels appuis peut-il compter ?
Le chef produit -chef d’orchestre- peut lui même s’entourer d’experts internes ou externes, pour la collecte en amont des informations, indispensables à la compréhension. Vers l’aval, d’autres acteurs peuvent intervenir, en particulier dans la communication vers le client : publicité, image du produit, et bien sûr force de vente. Parfois, certains chefs de produit dirigent l’ensemble de ces actions par eux même - on pourrait alors aussi bien les appeler directeurs commerciaux.

Q : En conclusion , toutes les entreprises ont elles besoin du marketing ?
Le marketing repose, pour moi, sur un postulat : “le client est un être étrange, qui choisit le fournisseur qui lui convient le mieux”. Si on est convaincu de cette affirmation, sachant qu’aujourd’hui il y a généralement pléthore d’offres par rapport à la demande, le devoir du marketing sera de connaître suffisamment bien l’acheteur pour deviner  ce qui va le faire “craquer” - en prenant en compte son individualité. Toutes les entreprises qui arrivent à survivre font du marketing, explicitement ou implicitement. Mais celles qui ne mènent pas un marketing volontariste risquent de gaspiller une partie de leur énergie, de ne pas arriver à l’optimum : améliorer le rendement des efforts de l’entreprise est une autre retombée de cette discipline. D’ailleurs, la volonté de faire du marketing est aujourd’hui présente dans tous les grands groupes que je connais - ce qui ne veut pas dire qu’il ne faudra pas encore plusieurs années pour que les entreprises nouvellement entrées en marketing soient performantes sur ce plan.

MARKETING
entretien avec Philippe Mignotte,