Un défi permanent pour le management est d'obtenir que ses collaborateurs se motivent. On peut les mobiliser, donner des orientations claires, et expliciter ce qu'il convient d'entreprendre … s'ils ne s'approprient pas ces souhaits et la vision correspondante, ils avanceront sans enthousiasme et donc pas très vite en butant sur chaque obstacle.
Le charisme du chef joue un rôle clé sinon il susciteras un feu de paille.
C’est au cinquième siècle de notre ère que St-Benoît a rédigé la règle qui guide depuis le management d’un monastère bénédictin. C’est donc un système qui fonctionne sans discontinuer depuis 15 siècles. Bien des chefs d’entreprise rêveraient d’avoir la même longévité. Sans vouloir assimiler une entreprise et un monastère, il faut quand même noter que lorsque, dans une société, il existe une véritable communauté de vue et de finalité … le succès est plus facile à atteindre.
Au milieu des informations multiples, contradictoires, d’importance variable, il est primordial que le responsable ait l’aptitude, aiguisée au fil du temps par l’expérience, de se faire une idée juste de la situation.
Pour obtenir une convergence des efforts de ses collaborateurs, il faut qu’il arrive à une vision simple de la situation et claire des objectifs essentiels.
Cette notion de discernement est particulièrement pertinente dans l’environnement complexe dans lequel il nous faut évoluer. Il n'est pas simplement le fruit de l'intuition, mais le résultat d'un raisonnement basé sur l'intelligence prenant bien en compte toutes les dimensions de la situation.
Trois anecdotes pour illustrer l’importance du choix des mots et des arguments :
Choix des mots :
- La connotation négative du mot profit dans le monde fonctionnaire.
En travaillant avec un organisme public s'occupant d'économie d'énergie et très fortement syndicalisé, j'avais laissé échapper l'idée que leur travail devait dégager un profit. Cela avait soulevé un beau tollé!
Un peu plus tard, je suis revenu sur ce thème sous un autre angle : arguant que j'étais, comme contribuable le fournisseur de leurs ressources, j'ai émis l'idée que leur travail créé une valeur en rapport avec le coût.
J'ai alors eu droit à une explication sur la difficulté de chiffrer les économies espérées puis, lorsque je leur ai eu affirmé que je faisais confiance à leur jugement sur ce point, j'ai obtenu une précision : les économies pouvait n'être constatées que dans plus de 10 ans. Je leur ai donc accordé un calcul d'actualisation en précisant mon souhait que le chiffre ainsi obtenu soit égal au coût engagé … ce qui a soulevé un tollé : le chiffre des économies devait être très supérieur au coût.
Il ne me restait plus qu'à conclure que ce surplus est appelé profit par d'autres. Mes interlocuteurs ont eu l'élégance de beaucoup rire. - L’erreur de compréhension du mot concurrence dans un service public.
Dans une grande entreprise nationalisée, pour mieux responsabiliser son encadrement, la DG avait décidé que les rapports entre les exploitants d'équipements lourds et tous les services annexes (maintenance, approvisionnement, comptabilité, juridique, personnel, …) devait devenir du type client - fournisseur afin de stimuler l'esprit de service. Pour ce faire deux entités autonomes avec leurs comptes d'exploitation avaient été mises en place.
L'étonnant est que cela a créé, entre d'anciens collègues qui se connaissaient bien, des relations aussi brutales (les clients devenant des dictateurs ne voulant rien connaître des difficultés de leur fournisseur) que désagréables.
Lorsque j'ai eu à animer un séminaire pour remettre de l'huile dans les rouages, j'ai commencé par une rencontre entre les deux comités de direction qui ont commencé par s'installer face à face comme deux armées en ordre de bataille. Pendant que les collaborateurs travaillaient ensuite en petit groupe dans la salle de réunion sur l'identification des problèmes, j'avais recommandé aux deux directeurs de montrer entre eux une connivence évidente : il fallait voir la tête de leurs collaborateurs! Il ne fut pas difficile ensuite de les convaincre de l'importance du théorème de Bellman!
Puis ce fut le tour de tout l'encadrement dans des groupes mêlant les personnels des deux entités, lors d'une réflexion en sous-groupe séparés il leur fut facile d'identifier les griefs fait "aux autres", mais l'amusant fut lorsqu'il leur fut demandé d'expliciter les qualité de "l'autre" il fut identifié ses compétences techniques et, après un bon moment de réflexion, son … appartenance à l'entreprise.
Il a fallu expliquer, à leur grand soulagement que des rapports client - fournisseur ne consistait pas à s'entretuer, mais à s'entraider pour gagner. Le mot concurrence était pour eux synonyme de guerre.
Choix de l’argument :
- Dans une autre grande entreprise, je cherchais à les convaincre de mettre en place une protection contre l'incendie dans des locaux contenant des équipements électroniques très coûteux.
Mes arguments économiques laissaient de place les responsables jusqu'à ce que je commence à les ébranler très sérieusement en soulignant qu'un incendie dans un de leurs grands centres que je venais de visiter entraînerait une "interruption du service public" : là ils se sont sentis concernés.
Cette évolution d'attitude c'est considérablement accélérée lorsque l'un de leur stockage de matériel neuf et de rechange a brûlé pour un coût se comptant en centaines de millions d’euros … chiffre qui n'a pris de sens que lorsque j'ai demandé quel serait la réaction d'un journal satirique qui apprendrait que ce local aurait pu être protégé … - Lors d'une discussion avec un organisme d'homologation de systèmes de protection contre des accidents de personnes, un responsable refusait d'agréer une nouvelle solution beaucoup moins dangereuse.
Après beaucoup d'efforts, j'avais obtenu de le rencontrer et compris que son attitude était basé sur le fait qu'il n'avait pas été invité lors d'une démonstration organisé par la profession quelques années auparavant. Il exigeait donc que tout soit recommencé à zéro et dans des conditions extrêmes et donc inacceptables.
Après avoir un peu hésité, je lui ai écrit (en adressant ce courrier, par une erreur calculée, à sa direction!) pour lui signaler que puisqu'il refusait d'agréer un système plus sur, il prenait la responsabilité des graves accidents qui se produisaient de temps à autre avec la solution existante. Sa réaction fut virulente, mais l'homologation obtenue rapidement.
Ce n'est pas une méthode dont je recommanderais un usage immodéré, mais il faut trouver les mots que l'interlocuteur peut comprendre.
Il fut une époque où le chef faisait part de sa décision et chacun obéissait. Un progrès est apparu lorsque le responsable s’est mis à exprimer les raisons l’ayant conduit à ce choix, mais il reste un doute concernant d’éventuels motifs qui auraient été malicieusement omis.
Pour mettre plus de chances de son côté, il vaut mieux fournir les faits saillants caractérisant la situation et la problématique, puis d’aider chacun à en déduire (d’une manière plus ou moins consciente, il est vrai) les conclusions qui expliquent les décisions prises.
Il ne s’agit pas de lui faire explorer tous les errements parcourus lors de la recherche de la solution : ce serait trop long et inutilement compliqué. Il faut, par un jeu d’interrogations successives, lui faire découvrir les prémisses ou postulats ou, plus simplement, fondement des caractéristiques de la situation puis lui faire parcourir le raisonnement qui conduit à la conclusion : non pas « suis mes raisons », mais « avances tes raisons, je te guiderai vers la vérité en cas d’erreur ou de méconnaissance d’une information.
Dans les pays avancés, la presque totalité des collaborateurs a atteint un degré d’instruction qui les conduisent, légitimement, à revendiquer une part d’autonomie dans la conduite de leur travail.
Ceci n’est possible que si on leur indique le résultat à obtenir et non simplement les tâches à accomplir.
On peut mobiliser des collaborateurs, mais si on veut qu’ils donnent le meilleur d’eux-mêmes, il faut qu’ils se motivent : la compréhension des finalités poursuivies et de leurs motifs est un puissant ressort.
La motivation permet d’activer leur imagination pour faire preuve d’innovation … source de création de valeur.
La motivation d'un collaborateur, c'est comme la confiance dans l'économie, nul ne peut être certain que les opérations de mobilisation qu'il lance vont déclencher la motivation … et pourtant, c'est la mission numéro un d'un patron dont la puissance de travail est marginale par rapport à la masse de celle de ses collaborateurs.
Les collaborateurs disposent d’une faculté de jugement qui croît avec leur degré de culture générale. La plupart n’acceptent plus que difficilement de se contenter de travailler sans comprendre.
En maniant la carotte et le bâton, on peut les « mobiliser », mais ils ne manifesteront pas souvent un enthousiasme délirant. L’objectif est qu’ils "se" motivent, ce qui ne se produit que si les enjeux qui leur sont proposés sont raisonnablement argumentés pour leur intelligence, satisfaisant (pas forcément uniquement en argent) pour leur intérêt et stimulant pour leur affect et leur imagination.
Ce sont ces derniers qui peuvent soutenir un effort de longue durée, mais pour que l'enthousiasme les stimule, il est bon qu'un minimum de plaisir soit généré lors de l'exécution … une autonomie accordée dans le cadre d'une délégation de responsabilité et de pouvoir* claire est un levier dont il faut savoir jouer.