Parmi les causes de la complexité, il y a la difficulté de gérer de nombreux paramètres qui agissent sur une situation. Cette difficulté est encore accrue lorsque ces variables sont des hommes dont les interactions sont individuellement complexes car tout leur irrationnel intervient avec leur volonté et leur liberté de choix.
Cependant on peut un peu clarifier la situation en procédant à une analyse relativement rationnelle des relations entre les acteurs qui ont une influence sur une situation.
Dans le cas d'un processus de décision complexe parce qu'il comporte de nombreuses phases faisant intervenir des acteurs variables au fil du temps, il faut d'abord identifier les différentes phases faisant intervenir un même groupe de personnes.
C'est au sein de ces groupes qu'une méthode peut aider à mieux choisir comment répartir ses efforts entre eux pour favoriser l'éclosion de la solution qui a notre préférence. Rappelons qu'il n'y a pas décision lorsqu'il n'y a pas hésitation entre plusieurs solutions équivalentes, sinon il est inutile de se battre contre l'inéluctable : il faut s'y adapter le moins mal possible s'il nous est défavorable.
La matrice d'influence vise à donner une évaluation (le plus souvent d'une manière en partie subjective) de l'importance des influences exercées ou subies par chacun des acteurs qui interviennent lors d'une phase d'un processus de décision (il faut bien évidemment identifier tous les acteurs qui ont une influence).
Les résultats sont exprimés dans la grille ci-dessus : l'influence de l'acteur A sur chacun des autres est noté entre 1 et 5 (très forte). Puis, on procède de même pour chacun des autres acteurs.
La somme des chiffres d'une ligne va donc donner une idée de son pouvoir d'influencer le processus de décision. La somme des chiffres d'une colonne sera un repère de l'intensité des influences qu'il subit de la part des autres acteurs.
Chaque acteur est alors caractérisé par deux chiffres indépendants l'un de l'autre : son degré d'influence et celui d'être influencé. On va donc le positionner dans un graphique.
Les coordonnées de chaque acteur vont donc déterminer sa place dans ce graphique que l'on peut alors diviser en quatre parties :
- Les acteurs qui sont fortement influencés et qui n'influencent pas grand monde se retrouvent dans la zone basse et à droite : baptisés les Girouettes pour expliquer que leur opinion variera au fur et à mesure que celle des autres évoluera. Beaucoup de collaborateurs se retrouvent dans cette typologie.
- Dans la zone haute et à gauche, se regroupent ceux qui sont très écoutés, mais qui ne sont guère influencés pas d'autres : leur surnom d'Intouchables se comprend alors sans peine. Les membres des organismes de certification ou d'homologation sont souvent dans cette position. Ils sont rarement très nombreux.
- Un nombre non négligeable, mais limité, se retrouvent dans la zone dénommée Actifs, car ils sont à l'écoute tout en étant écoutés. Beaucoup de managers sont dans cette attitude.
- Enfin, si l'on trouve un acteur qui n'est influencé par personne et qui n'influence personne, c'est qu'il n'a rien à faire dans ce groupe … d'où l'appellation de Hors Jeu.
Pour tirer une politique d'action de ce graphique, il faut d'abord espérer que l'on ne se trouve pas dans sa partie inférieure, car alors il ne nous reste plus qu'à subir.
Le principe est de diriger ses efforts sélectivement et directement sur les quelques Intouchables dont nous aurions l'oreille : si on arrive à les convaincre de la justesse de notre point de vue, on aura gagné un allié très puissant … mais ce sera rarement un exercice aisé et il faudra souvent faire preuve de psychologie : la maïeutique est recommandée dans ce cas.
C'est massivement sur les Actifs qui serviront de caisse de résonance sur les autres acteurs qu'il faut diriger l'essentiel des efforts en explicitant les arguments prodigués à chacun en fonction de ses propres attentes, mais aussi de celles des personnes qui les écoutent.
On perd évidemment son temps à s'occuper des Hors Jeu, mais aussi des Girouettes, car s'il est flatteur de rencontrer quelqu'un qui vous écoute et vous approuve, mais comme il pèse peu dans le système, on gaspille son énergie.
A titre d'exemple, le schéma ci-contre visualise le jeu des relations qui existaient entre les acteurs de systèmes extincteurs à base d'un gaz.
- En Europe, trois fournisseurs se partageaient les clients fabricants de systèmes. Le leader avait en outre des contacts épisodiques avec les petites sociétés de Conseils en Incendie (souvent d'anciens officiers du corps des pompiers) et avec les grands organismes d'homologations (assureurs, sécurité civile, armée, organismes de normalisation, …).
- Les fabricants de système ne travaillaient en direct qu'avec les quelques chantiers navals.d'
- Les innombrables salles, l'électronique (informatiques, contrôle, …) et les industriels étaient fournis par des distributeurs. Ils se faisaient aider par les Conseils en Incendie.
- Les homologateurs, par le montant des primes d'assurance exigées ou par les réglementations émises, pesaient logiquement sur tous les utilisateurs et sur les Conseils qui répétaient fidèlement leurs consignes.
- Parmi ceux-ci, deux professions travaillaient seules : les constructeurs d'avion qui utilisaient des systèmes très spécifiques et les propriétaires des grands centraux téléphoniques qui vivaient un peu à l'écart sans protéger grand-chose, car ils étaient leur propre assureur.
Lorsque mon entreprise a décidé de prendre pied dans cette activité, j'ai rapidement découvert, avec horreur, que la réputation de ce gaz extincteur était : il n'éteint pas grand-chose, mais en contrepartie, il est très dangereux !
- Tout en menant des contacts commerciaux classiques avec les fabricants de système pour assurer un minimum de ventes, j'ai mis en place un jeu de relations supplémentaires pour agir sur tous les acteurs.
- Pour être crédible vis-à-vis des grands homologateurs, des actions spéciales d'informations ont été organisées à leur intention en veillant à fournir uniquement des arguments scientifiquement prouvés sans aucune pression de type commercial.
- Pour donner plus de poids, une structure légère a été (laborieusement) créée entre les producteurs pour que ce soit la profession qui s'exprime par un Comité Technique qui profitait de la notoriété de ses membres, toutes grandes sociétés de chimie.
- L'essentiel de mes actions personnelles a été focalisé vers les prescripteurs avec une forte implication au niveau des normes ISO qui m'a valu de présider un groupe de travail rassemblant quinze nations y compris, à l'époque, l'URSS et la Chine rouge, afin de préciser les caractéristiques et capacités du produit.
En conséquence, la réputation s'est améliorée jusqu'à se transformer en "ce produit éteint presque tous les types de feu et n'a encore jamais fait de mal à quiconque".
Nous avons alors alimenté les fabricants de système avec des outils leur permettant de donner à leurs commerciaux une information rigoureusement exacte sur les limites d'utilisation.
L'aviation dont les débouchés étaient modestes n'ont été légèrement travaillés que pour pouvoir utiliser leur notoriété de sérieux puisqu'ils utilisaient sans complexe le produit.
Par contre, il a fallu s'appuyer sur l'image de grand groupe industriel désirant dialoguer avec des grands opérateurs de téléphonie pour réussir à nouer des contacts fructueux avec eux.
Il a néanmoins fallu trois ans d'efforts pour arriver à obtenir toute une série de réglementations favorables aussi bien au plan assurance que sécurité des personnes. Comprendre le fonctionnement de ce jeu d'acteurs et distinguer les "émetteurs" des "hauts parleurs" a pris six mois.