Quelques considérations complémentaires sur le contexte dans les pays occidentaux.
Finalement, à l'origine de toutes ces évolutions se trouvent les individus dont je crois que, dans la très grande majorité des cas, ils veulent développer leur individualité plutôt que leur individualisme.
Cette volonté amène à accroître son savoir et ses compétences qui, par le progrès scientifique, génèrera les mutations technologiques.
Une individualité forte entraînera une grande diversité de styles poussant à se différentier qui est la source de l'innovation.
Exprimer son individualité va conduire à prendre par soi-même des décisions et non plus suivre l'avis de leaders d'opinion. Il en résulte une énorme diversité de nuances et cette multiplicité de centres autonomes est une des sources de l'incertitude par la complexité qu'elle entraîne.
L'expression d'une individualité prend des formes diverses se traduisant par la volonté de choisir les valeurs auxquelles elle croira et de disposer d'une certaine autonomie dans la conduite de son travail associé à une autonomie certaine dans celle de sa vie personnelle.
Il en résulte que l'on ne peut, le plus souvent, demander à ses collaborateurs d'être simplement obéissants. Il faut les convaincre de l'intérêt de ce qu'on leur fixe comme objectif … un peu comme lorsque l'on veut convaincre un client que notre offre est la meilleure.
Pendant les trente glorieuses, les jeunes cadres dynamiques s'impliquaient totalement dans leur job au détriment de leur vie personnelle et dans un respect de la hiérarchie qui en faisait trop souvent des exécutants zélés sans que toutes leurs potentialités soient mobilisées. Leur implication dans l'entreprise était large, mais peu profonde.
Aujourd'hui, ils apportent volontiers à leur équipe la totalité de leurs possibilités quantitatives et qualitatives, mais sans sacrifier les autres dimensions de leur vie. Leur motivation est plus étroite, mais plus profonde.
Comme on a ainsi échangé des moments d'intelligence algorithmique par de la créatrice qui génère plus de valeur : les entreprises sont gagnantes … même cela entraîne une mutation du management, car on ne "dirige" pas une personnalité, on "l'oriente".
Prigogine, prix Nobel de physique, a étudié les systèmes complexes et constaté que, dans certaines conditions critiques, ils peuvent, sous l'effet d'une cause infime, connaître des évolutions extrêmement différente : on peut rappeler les phénomènes bien connus que sont la longueur du nez de Cléopâtre ou dans un passé plus récent l'effet de personnalités comme le général de Gaulle en juin 40 ou Lech Wałęsa quelques décennies plus tard … Nul n'aurait pu anticiper quel serait l'effet de ces "froissements d'aile de papillon".
Il est moins connu que Prigogine a émis deux hypothèses pour expliquer la dimension stable de ces systèmes :
- des échanges continus avec l'extérieur sous forme de matière et d'énergie peuvent le stabiliser,
- lorsque l'information circule rapidement au sein du système, il sera capable, lorsqu'un déséquilibre se produit localement, de prendre les mesures correctives efficaces avant que tout se soit effondré comme un château de cartes : je me souviens d'un sévère effondrement soudain des bourses type 1929 qui n'a pas duré, car, dès le lendemain, il a été compris qu'un ordinateur s'était déréglé en ordonnant des ventes massives à son niveau bien que marginales dans l'ensemble ; il avait cependant eu un effet suffisant pour entraîner d'autres ordinateurs programmés pour cela à vendre des titres qu'il avait fait baisser … de proche en proche le comportement algorithmique de tous les ordinateurs avait entraîné le cataclysme … jusqu'à ce que l'intelligence créatrice des informaticiens puis des opérateurs ne reprenne le dessus et ne fasse tout rentrer dans l'ordre en quelques semaines.
Il est clair que de ce point de vue, le développement des télécommunications et l'influence du quatrième pouvoir jouent un rôle bénéfique dans nos sociétés développées.
Pour comprendre le contexte dans lequel évolue une activité, il faut se placer dans une logique systémique ouverte qui permet de prendre en compte tous les critères qui y joue un rôle et qui permet d'y introduire des faits nouveaux au fil du temps.
Le phénomène des délocalisations est, dans les pays développés, considérée comme une malédiction, ce qui est parfaitement compréhensible pour ceux qui en subissent les conséquences, mais si on prend de l'altitude en examinant la situation au niveau mondial, on comprend pourquoi il s'agit d'un mouvement inévitable.
La création de postes dans un pays pauvre est une condition pour y amorcer le cycle vertueux du développement qui, porté au départ par les exportations, évolue progressivement par la satisfaction des besoins locaux de ceux qui travaillent pour les pays riches.
Pour les résidents du pays qui a délocalisé, le même produit importé sera moins coûteux et contribuera à augmenter le pouvoir d'achat … de ceux qui n'auront pas perdu leur emploi … c'est-à-dire une énorme majorité (pour simplifier 90% de la population).
Ici encore, la solution individuelle est la montée de la compétence par l'apprentissage permanent pour être toujours à même d'éviter la banalisation.
La mondialisation entraîne aussi une typologie des métiers des individus.
Lorsque les objets qui sont fabriqués par les travailleurs du premier type peuvent voyager sans grever leur coût rendu, ces personnes, dont le degré de qualification n'est pas très élevé, sont soumises à la concurrence de leurs homologues de pays moins développés … en générant la délocalisation source de développement pour les uns et de chômage pour les autres. Leur devenir, dans nos zones développées, dépend du développement de compétences spécialisées.
Certains produits ne peuvent être importés, dont beaucoup de services, mais aussi les périssables. Ceux de ces postes de travail qui demandent peu de qualification attirent les émigrés et … celles des "abeilles" qui ont perdu leur emploi. La concurrence sera rude entre ces "servants".
Une troisième catégorie rassemble les concepteurs des objets et services qui, pour l'essentiel, deviennent des "manipulateurs de symboles". Les moyens de télécommunication leur permettent de fonctionner en réseau depuis leur lieu favori de résidence (rarement les moins agréables !) en se rencontrant de temps à autre. Ils se regroupent dans ce que l'on pourrait appeler des ghettos de luxe en recourant aux "servants" pour leur confort.
Cette typologie peut paraître un peu cynique, mais elle a un fond de vérité qu'il faut pondérer par le constat du développement à la fois des zones du monde les plus pauvres et du niveau de savoir de beaucoup … d'où l'importance de l'apprentissage continu pour rester un "manipulateur de symbole" compétitif.
Au fil des décennies, l'offre aux clients s'est complexifiée, après avoir fourni le produit sans autres soucis, il a fallu y rajouter des services annexes dont l'après-vente a été l'un des plus importants.
Avec l'apparition de l'abondance et des surcapacités de production, il faut maintenant réussir à concilier à la fois de faibles coûts de production qui exige une standardisation poussée et une personnalisation qui exige une coûteuse adaptation. Il faut donc souvent inventer des systèmes type "Lego" dont les éléments de base sont produits en grande série, mais dont la combinatoire conduit à une très large gamme de solutions auxquelles il ne faut plus qu'apporter une pincée de sur-mesure comme cerise sur le gâteau.
Les grands systèmes politiques peuvent être confrontés à des principes généraux énoncés par ailleurs.
• Le Capitalisme pur et dur énonce : "recherchez votre intérêt, cela fera l'intérêt général" … le seul ennui est que cette maxime est mathématiquement fausse au vu du théorème de Bellman*. C'est bien pour cela qu'il existe des lois qui doivent s'appliquer à tous et dont la justification est justement de tendre à générer l'intérêt général … au détriment de certains intérêts particuliers.
• L'autocratie concentre le pouvoir entre les mains d'une poignée de privilégiés. Cette forme de prise de décisions, outre son caractère inique, est inefficace, car elle part d'une vision simplificatrice de la réalité en se privant de la contribution de l'intelligence de tous … dont on sait qu'elle est la source de la création de la valeur.
La multiplicité des langues pratiquées en Europe, un long passé de confrontations sanglantes a généré une culture habituée à la complexité des situations. Si on en croit la loi de complexité-conscience de Teilhard de Chardin, l’intelligence collective de l’Europe doit donc atteindre des sommets … lorsque nous saurons nous enrichir de nos différences et capable de faire jaillir l’unité de l’hétérogénéité initiale.