Lorsqu’une nouvelle orientation stratégique est choisie pour une activité, la première étape pour l’implanter est que le nécessaire ait été fait pour que l’encadrement s’en soit approprié le bien fondé en s’y acculturant pour y adapter son comportement.
Il faut alors que celui-ci en déduise ce qui doit changer … dans le sens du progrès !
Il faut bien faire la distinction entre l'orientation stratégique et les décisions stratégiques.
La première donne le sens dans laquelle la direction générale veut que se dirigent les efforts de tous. Le passage à l'acte, à son niveau, se traduira par un ensemble de décision qui se prendront au fur et à mesure que cela sera possible ou judicieux. Elles se prennent lorsque l’opportunité se présente (en fonction des perspectives financières, de la synergie avec les autres DAS, du risque et de l’équilibre du portefeuille).
La première mesure sera de mettre en place une organisation adaptée à l'ambition : il s'agit de choisir les hommes (compétence et tempérament) qui feront d'advenir le futurible, de sélectionner et d'articuler leurs actions pour que l'ensemble soit performant (définition des processus).
Il sera aussi nécessaire d'ajuster les moyens matériels, que ce soit pour les accroître (augmentation des capacités de production*) ou les réduire (fermeture ou vente).
Chaque entité de l’activité identifiera aussi les conséquences d’une nouvelle orientation dans son domaine de responsabilité.
Enfin, pour préparer le futur, il ne faut pas oublier de préciser le rôle confié à la recherche (arrêt ou axes prioritaires).
Dans le cas d'un grand groupe, il faut aussi préciser la logique générale de l'ensemble de son portefeuille de DAS. Il n'y a pas de solution unique et à titre d'exemple, on peut citer le cas d'ELF AQUITAINE qui, de proche en proche, allait de l'exploration pétrolière aux produits de beauté, mais étaient regroupées en unités opérationnelles rassemblant de grands domaines voisins.
Au fil des années, la chimie et la pharmacie se sont de plus en plus séparées. La raison de fond est que les médicaments de demain ne seront plus issus des laboratoires de synthèse chimique, mais des connaissances en biologie qui ne relèvent pas du même domaine de compétence : il n'y a plus de similitude, comme au siècle dernier, entre les principes actifs et les colorants. Demain les chimistes seront de simples fournisseurs des pharmaciens qui seront beaucoup plus proches des médecins.
La logique du conglomérat est articulée autour des finances et souvent des talents d'organisateur de son management.
Les interactions opérationnelles entre les DAS sont très réduites, mais le reporting est très développé.
Ces groupes apprécient souvent d'acheter des activités mal managées et présentant donc une médiocre efficience … puis de les soumettre à une sévère réorganisation … avant de les revendre.
Si on considère le cas de la compagnie AIR France dans le dernier quart du vingtième siècle, on n'est plus dans une logique de filière verticale, mais de marguerite bâtie autour du passager aérien.
Lorsque les temps deviendront trop durs, c'est l'activité la moins directement liée au monde aérien qui sera vendue : les hôtels méridiens.
Il faut d'ailleurs noter que lorsque les résultats sont mauvais, les groupes ont tendance à céder leurs activités les plus périphériques (non stratégiques) pour se recentrer sur leurs métiers cœur. Dès que les ressources dépassent les besoins des activités existantes se posent le (bienheureux) problème de leur emploi :
- vaut-il mieux les employer pour augmenter ses parts de marché dans les activités existantes, que ce soit par croissance interne ou externe
- est-il préférable, pour ne pas mettre tous ses œufs dans le même panier, de se lancer dans une diversification, que ce soit par proximité ou dans un monde nouveau,
c'est à chaque direction générale de faire ses propositions.
Chaque entreprise présente ses spécificités, mais l'expérience m'a montré que lorsque l'on a une bonne compréhension de quatre d'entre elles, toutes les autres deviennent relativement faciles à décrypter.
- La chimie se caractérise par l'enchevêtrement des DAS qui se commandent les uns les autres (fourniture de matières premières entre eux) et qui se partagent des moyens (ateliers polyvalents) : un grand patron de la chimie disait "Si je veux savoir qui est vraiment responsable d'une activité, je l'isole et la laisse fonctionner indépendamment des autres … mais alors les sous-produits sont mal valorisés et l'ensemble n'est pas optimisé. Si je veux optimiser l'ensemble, je ne sais plus qui rendre responsable des difficultés". C'est un très bel exemple du théorème de Bellman !
- Le monde de l'automobile est fascinant par la précision du ballet qui va conduire, dans un premier temps, à ce que toutes les pièces nécessaires à la réalisation d'une voiture soient, dans un délai de plus en plus court, prêtes en même temps, puis, que la bonne pièce arrive au bon moment sur la chaîne de montage : il y a là un merveilleux exemple de gestion des flux.
- La pharmacie pose un autre type de défi : engager pendant dix ans des dépenses énormes pouvant être annihilées à tout moment avec l'espoir que durant les dix années suivantes, les recettes compenseront le risque couru. Il faut être capable de tenir la distance non seulement financièrement, mais aussi nerveusement : une vraie course de fond.
- A l'autre extrême, les disciplines de l'électronique s'apparentent plus à un sprint continu : les évolutions sont si rapides qu'une erreur de quelques semaines peut vous laisser avec un stock de composants devenus obsolètes. La réactivité nécessaire relève presque du réflexe … et je dois dire que la planification de ce type d'entreprise est souvent assez réduite : les évènements donnent souvent l'impression d'être les maîtres du jeu.
On pourrait aussi citer l'aéronautique pour sa recherche du défaut zéro (ou presque) qu'elle partage avec la pharmacie.
La notion de risque est évidemment à peser lors d'une décision de diversification. Elle doit aussi être considérée lors de toute décision importante : investissement ou lancement d'un programme de recherche lourd, ou …
C'est l'occasion de bien distinguer différentes facettes de la notion de risque :
- Les notions de danger et de dégâts : la première est la cause de la seconde. La mesure à prendre prioritairement est de tenter d'éliminer la source puis, dans la mesure où elle ne pourrait être tarie, de réduire l'ampleur de ses conséquences.
- Les deux composantes qui permettent de peser le risque couru : la probabilité d'occurrence et l'ampleur des dégâts potentiels.
La grille ci-dessus donne des règles générales de comportement … lorsque l'on dispose d'un degré suffisant de liberté !
On peut rapprocher cette grille de la leçon du paradoxe de Saint-Pétersbourg. L'occurrence est, objectivement, relativement faible. Tant que la somme risquée est considérée comme modeste, le risque est négligé, mais progresse le long de l'axe de l'importance jusqu'au moment où la prise d'assurance consiste à partir avec son pactole.
La démarche qui a été exposée vise à prendre en compte le maximum de facettes d'une situation avant de décider. Bien des grilles ont été développées par des universités ou des consultants pour analyser puis positionner des activités.
Il est scandaleux de ne pas les connaître afin d'en tirer ce qu'elles peuvent donner, mais aucune ne peut fournir une vision complète de la réalité : projeter sur un plan, dans une grille à deux dimensions les caractéristiques d'une activité est évidemment une réduction drastique de la complexité.
Il faut bien comprendre quelle est la signification de chacune d'elle pour les utiliser comme des outils spécialisés et non chacune comme un absolu, car ils laissent trop peu de place à l'humain (vision trop uniquement positiviste ; la phénoménologie n'y a pas sa place).