Les sciences dites exactes ont le gros avantage de donner l’impression (parfois l’illusion) de la sécurité. Elles sont déterministes, mais quelques remarques s’imposent pour en comprendre les limites :
- La hiérarchie s’attache à vérifier la rigueur du raisonnement qui conduit à la conclusion. Notre formation cartésienne conduit rarement les cadres de nos entreprises à des erreurs dans ce domaine. Par contre les réflexions sur la pertinence des bases sur lesquelles sont fondées ces déductions sont trop souvent fort réduites : celles qui sont identifiées (plus ou moins consciemment) sont généralement pertinentes, mais la recherche de celles que l’on a oublié de prendre en compte est fort ténu!
- L’avantage d’une solution tirée d’une science exacte est qu’elle est sure, mais son inconvénient est quelle ne laisse aucune place à la liberté, à la nouveauté, à la différentiation : les concurrents arriveront à la même conclusion … lorsqu’ils se poseront la question!
- Enfin les exemples qui suivent montreront que l’incertitude n’est pas toujours absente des sciences exactes …
La gestion peut viser à utiliser au maximum les possibilités des sciences exactes … au delà le management devra recourir à l’éclairage peu stable des sciences humaines … et parfois aux intuitions aléatoires de l’art.
Il existe des êtres mathématiques étranges dont les propriétés défient le sens commun.
Il y a bien sûr l’exemple de la tortue et d’Achille que les anciens n’ont pas su résoudre, car ils ignoraient comment démontrer que la somme d’une série sans fin peut tendre vers un nombre fini. Ils avaient cependant bien compris qu’un raisonnement apparemment juste pouvait conduire à une conclusion absurde. Un défaut souvent rencontré dans les affaires est la propension des managers, dans un souci de rapidité, à se précipiter sur la première solution envisageable au lieu de se focaliser d’abord sur la justesse de la formulation du problème.
La théorie du chaos offre d’autres exemples :
L’équation mathématique “logistique“ peut avoir un avenir parfaitement déterministe et tout aussi imprévisible,
Le “flocon de neige” fractal se définit par la simple démultiplication d’un triangle.
La facile relation de déclinaison d’une série mère de 1 ou de 0 génère au bout de quelques générations un nombre identique d’individus, mais dont la répartition est impossible à anticiper : l'automate.
Combien de fois dans l'entreprise, n'a-t-on assisté à des disputes fratricides lorsque deux responsables ont des intérêts antagonistes ! Chacun défend son activité avec l'énergie du désespoir, persuadé qu'il fait son devoir.
La théorie mathématique des ensembles démontre par le théorème de Bellman que l'optimum d'un ensemble ne correspond que rarement avec l'optimum de chacun de ses sous-ensembles. Il en résulte que si un responsable d'un sous-ensemble d'une entreprise arrive à maximiser son résultat … il n'a pu le faire, presque toujours, … qu'au détriment de l'optimum de l'entreprise.
Je sais bien que c'est une réaction humaine spontanée, mais j'ai constaté que lorsqu'un responsable, convaincu que la recherche de son optimum est bien ce que lui demande sa direction (les centres de profit !) est informé de son erreur mathématique, bien souvent, il rectifie son attitude … ou du moins ne continue pas sans avoir mauvaise conscience !
Dans l'exemple du dessin ci-dessus, on constate que chaque sous-ensemble est bien conforme à son cahier des charges (les roues sont bien rondes !), mais faute de la vision de l'intérêt supérieur, l'assemblage laisse à désirer !
Il faut aussi noter qu'un système complexe présente souvent des propriétés qui n'appartiennent pas à ses composantes : si cette propriété est bénéfique, ce sont tous les composants qui doivent contribuer à son émergence.
Au nom de la maximisation des résultats d'un sous-ensemble de l'entreprise, que d'énergie perdue en discussions stériles lorsque ces chicanes visent à transférer des valeurs de la poche de gauche dans la poche de droite, quitte à en perdre en chemin … et non de les générer par une offre aux tiers. Quelle illustration de l'égoïsme de ces responsables … ou de leur méconnaissance du théorème de Bellman !
Comment ne pas oublier que "tout cela c'est la même vache même si ce n'est pas le même pis ! "
Le patron qui m'a appris cette sentence ajoutait tout de même (nul n'est parfait !) : " … mais si vous pouvez traire le pis du voisin … !"
Il s'agit d'une formulation très simplifiée de ce théorème, mais une affirmation exacte.
Comme j'aime bien des exemples simples pour aider à la compréhension, je citerais le rapport de la circonférence au rayon qui est une réalité certaine qui existe, mais dont on ne peut connaître la valeur avec certitude. On peut penser de même à tous les chiffres irrationnels (2/3 !).
Il n'y a pas de raison pour que ce cas de figure n'existe pas en management. Face à une inconnue, le manager doit faire rechercher des informations, mais avoir le courage de décider sans tout connaître. Il faut alors qu'il ait la lucidité (quitte à se faire excuser par le théorème de Gödel !) de faire savoir à ses collaborateurs qu'elles sont les impasses qu'il a faites afin qu'ils soient particulièrement attentifs lorsqu'ils sont dans ces parages.
L’homme est capable de dépasser l’approche purement rationnelle en y rajoutant, d’une manière plus ou moins consciente, une dimension irrationnelle : la fonction psy de Allais en est un exemple. Elle est basée sur l’expérience suivante : On donne à une personne le choix entre deux possibilités : soit elle empoche tout de suite 1 euro, soit elle tire un papier dans un chapeau dans lequel il y a 10 papiers. Sur 9 de ces papiers, il est inscrit 10 euros, et elle les empoche si elle en tire un, et sur le dixième, il est inscrit zéro, et si elle le tire, elle repart, bredouille et perd sa mise.
Que doit-elle choisir ? Tout le monde ou presque préfère tirer dans le chapeau.
On lui propose alors de miser les 10 euros qu'elle vient de gagner selon les mêmes règles pour en empocher 100.
Même question avec 100 euros et 9 chances sur 10 d'avoir 1000 euros
Puis entre 1000 euros sûrs et 9 chances sur 10 d'empocher 10 000 euros
Et entre 1 million d'euros sûr et 9 chances sur 10 d'encaisser 10 millions d'euros.
Et ainsi de suite. Il y a un toujours un montant auquel la personne préfèrera empocher de façon sûre plutôt que de risquer de tout perdre même si elle a 9 chances sur 10 d'empocher un montant 10 fois supérieur.
Ce montant est différent pour chacun. Il dépend de facteurs objectifs, comme la situation financière de la personne, mais aussi de facteurs subjectifs, comme son goût du risque. C'est la fonction psy d'Allais.
A un certain niveau, l'être humain choisira la certitude face au risque. A l'inverse, un ordinateur, qui n’est que rationnel, choisira toujours l'espérance de gain la plus forte, c'est-à-dire qu'il tirera toujours dans le chapeau, l'espérance de gain étant toujours 9 fois supérieure avec dix de multiplication ... jusqu’à ce qu’il perde.
L'être humain aura eu raison contre les probabilités, car il peut considérer qu'à un certain niveau, tous ses besoins financiers pourront être satisfaits, et qu'au-delà, c'est du superflu qui ne vaut plus le risque.
L'homme est plus intelligent que les statistiques …
Les chiffres peuvent induire des raisonnements faux : l’histoire de la tortue et d’Achille en est un exemple bien connu, mais on peut aussi citer le paradoxe de St Petersbourg. Il propose une partie de pile ou face un peu spéciale :
Un joueur met 1 euro sur la table et on tire à pile ou face, avec une autre pièce. Si c'est pile, la partie s'arrête et le joueur perd sa mise, et le banquier empoche l'euro qui est sur la table. Si c'est face, ce dernier rajoute le double de la mise initiale, soit 2 euros de plus placés sur la table. Il y a donc alors 3 euros sur la table.
On tire à nouveau à pile ou face. Si c'est pile, le joueur perd tout et le banquier encaisse les 3 euros, mais si c'est face, il double encore la mise et met 4 euros de plus sur la table, ce qui fait 7 euros en tout.
Le banquier continue de doubler la mise chaque fois que face sort et on continue donc jusqu’à ce que la partie s’arrête dès que pile sort.
Si l’on demande à un ordinateur de nous indiquer quel montant x il faut miser pour maximiser notre gain, il va se livrer à un calcul de probabilité pour déterminer à partir de quel moment la probabilité de perdre devient supérieure à la croissance du gain. La conclusion est qu’il faut parier sans jamais s’arrêter, car l'espérance de gain est infinie.
En effet, au premier tour, on a 1 chance sur 2 de gagner 2 soit 1*2/2 soit 1. Au deuxième tour, la probabilité de sortir de nouveau face n’est plus que de 1/2*2, mais l’espérance de gain est passée de 2 à 4 : l’espérance de gain est alors de 4/2*2 soit encore 1. Au suivant, on aura 4*2/2*2*2 : l’espérance se maintient à 1. Et ainsi de suite … L’espérance de gain est donc de 1+1+1+1+..., soit l'infini. Un ordinateur acceptera donc de miser toute somme qu’on lui proposera et continuera de parier … jusqu’à ce que le bon sens constate qu’il perdra sa mise initiale.
Et il aura eu tort, car le calcul ne se justifie que sur un nombre infini de parties. Ainsi, on n'a par exemple qu'une chance sur 1024 que face sorte 10 fois de suite, auquel cas, on gagnerait d'ailleurs 1024 euros. L’erreur de raisonnement n’était pas évidente et la démonstration quantitative imparable.
Cette affirmation paraît absurde, n'est-ce-pas ? Avant de la rejeter comme une ineptie, il faut se demander quel peut être son fondement.
Elle prend son sens si l'on ne compare pas des adultes entre eux comme votre première réaction le fait, mais un homme au long de sa croissance ... Méfions-nous de nos réactions premières …
Un événement est souvent conditionné par toute une série de paramètres dont certains sont déterminés et d'autres aléatoires. Cet entrelacs de causes peut n'être ni maîtrisable ni connu.
Lorsqu'une corrélation est constatée entre deux faits, il peut y avoir une relation de cause à effet entre eux, mais il peut aussi s'agir de deux évènements qui dérivent d'une même cause.
Une corrélation n'entraîne pas obligatoirement une certitude !