L'humanité semble depuis des millénaires a la recherche de son équilibre entre des préoccupations polaires multiples. L'entreprise se veut souvent très rationnelle et vit l'irrationnel comme un pis aller sans oser en utiliser explicitement les potentialités. Il lui faut valoriser toutes les facettes de ses collaborateurs.
Si le grand ovale ci-dessus représente une réalité et que l'on veut la décrire par ses caractéristiques quantitatives, on n'en dépeint que le petit rectangle. Pour donner un exemple trivial, donner comme caractéristique d'une réalité : 170, 90, 60, 90 cm peut donner une idée de la silhouette du sujet dont il s'agit, mais c'est très réducteur de ce qu'elle est.
Entourant le champ de ce quantitatif, il y a celui du qualitatif dont le grand rectangle représente la partie rationnelle. Dans ce champ, on peut expliquer le pourquoi de ce que l'on affirme et qui devient une certitude basée sur ce que valent ses prémisses, axiomes, postulats ou paradigmes clairement identifiés, donc soumis à la raison.
Le petit ovale visualise alors tout le secteur dans lequel on a des idées bien arrêtées, mais non démontrables : c'est le domaine de nos convictions … dont il faut rester conscient, qu'elles peuvent, légitimement, être partagées ou non, mais nul ne doit pouvoir démontrer qu'elles sont illogiques.
Il est bien clair qu'il ne faut pas confondre conviction et certitude. De ce point de vue, la querelle entre Abélard et St-Bernard sur la supériorité relative de la raison et de la révélation me semble un faux problème, car elles sont complémentaires l'une de l'autre.
Bien évidemment l'irrationnel n'a rien à voir avec l'illogisme !
Il est important d’ouvrir sa pensée à la totalité de ses potentialités sans se limiter au territoire du raisonnable. En arabe, la racine du mot raison, ai-je lu, est « entrave du chameau » … qui l’empêche d’explorer des ailleurs : ne nous entravons pas en restant conscient des différences.
Croire en l’importance de l’irrationnel qui est une faculté un peu mystérieuse du cerveau, mais s’en méfier … car, comme la fameuse intuition féminine, les erreurs sont fréquentes.
Lorsqu’un problème se pose directement dans le champ du rationnel, il suffit de demander à un expert de dire la solution.
Lorsqu’il se situe dans le champ de l’irrationnel, le responsable peut avoir la tentation de faire immédiatement son choix en se fiant à son intuition, fruit de son expérience. La bonne démarche est d’abord d’exploiter les possibilités de notre raison pour tenter de comprendre les tenants et aboutissants afin d’étendre le champ du rationnel jusqu’à englober le problème en cause. Ce n’est qu’en cas d’impossibilité qu’il faudra trancher dans l’incertitude.
Les utiliser pour imaginer des solutions plausibles - mais pas certaines - qu’il faudra tenter de valider par le raisonnement … donc de rapatrier le problème dans le champ du rationnel et transformer le choix en identification d’une solution.
Dans le même esprit, on peut limiter le champ de l’informatique au champ du rationnel en distinguant le simple algorithme ne permettant qu’un seul enchaînement de calculs des combinatoires permises par les systèmes experts.
Le champ de l’irrationnel va accueillir l’intuition avec la recherche à sa périphérie.
Dans le champ du rationnel, on peut dire que l'on perçoit la réalité en cause dans une partie de ses tenants et aboutissants. Ces convictions sont forgées par ce que l'on sait, mais que l'on n'a pas (encore ?) réussi à suffisamment structurer pour arriver à sa compréhension.
Un responsable technique évolue essentiellement dans le champ du rationnel en apportant des réponses aux problèmes qu'il rencontre. Le chercheur évolue à la fois dans le champ de l'irrationnel pour trouver des théories expliquant le savoir et aux frontières de ce savoir pour en accroître la surface.
Notre savoir est plus vaste que notre comprendre : c'est la différence entre les deux qui forme l’expérience.
Le comprendre peut se transmettre à un tiers puisque l'on peut l'expliquer, mais l’expérience reste incommunicable, car on ne sait trop d'où elle provient … ce qui explique l’intérêt des vieux crocodiles par rapport aux jeunes loups.
Le contrôle de gestion s’exprime, presque toujours, dans des tableaux de chiffres qui ne peuvent exprimer qu’une portion limitée de la réalité.
Il faut donc inclure dans ses indicateurs des éléments qualitatifs qui ne seront pas stricto sensu des outils de mesure, mais des repères (si on rassemble deux masses à une même température, elles donnent bien naissance à un nouvel objet de masse “mesurable” double, mais la température “repérable” reste la même).
Les chiffres peuvent aussi induire des raisonnements faux : l’histoire de la tortue (ou flèche) et d’Achille en est un exemple bien connu.
Le management inclut la gestion, mais la dépasse, car il doit prendre en compte tout l’humain … dans des proportions croissantes avec le niveau de responsabilité.
Le menu des lieux où on ne fait que se nourrir est simplement descriptif, la carte des grands restaurants doit suggérer un goût en accord avec l’atmosphère de l’endroit … mais trop de fantaisie, en oubliant la finalité, entraîne souvent un texte incompréhensible.
Une publicité de parfum doit évoquer une odeur : les couleurs chaudes et fortes d’Opium montrant une femme lascive ne font pas appel à la même émotion que l’Air du Temps avec ses nuances pastel, sa jeune fille blonde évanescente et ses petites fleurs. La cible visée, aussi bien féminine que masculine, ne fait pas appel aux mêmes phantasmes.
Le langage, fréquemment difficile à saisir, des artistes peut provenir d’une pensée confuse et pauvre, mais aussi d’un esprit qui s’aventure dans des territoires inconnus de l’émotion pour lesquels il faut inventer une nouvelle manière de dire susceptible d’aider à faire jaillir la sensation en question.
Un patron charismatique sait jouer de ces ressorts : faire un peu rêver est un très fort levier de mobilisation générant la motivation.
En appliquant ce schéma à nos modes de penser, on peut aussi y lire une progression :
• La démonstration explique ses bases et le raisonnement qui conduit à la conclusion dans un discours.
• La réflexion ressemble à des séries de phrases tirées de l'expérience et formant en quelque sorte des lois expérimentales.
• La méditation recherche la cohérence des mots pertinents s'appliquant à la situation.
• Dans la contemplation, on est au-delà des mots, mais présent à la situation.
Face à un phénomène incompréhensible, le chercheur va avoir l'intuition d'une hypothèse explicative. C'est une phase très irrationnelle, mais créatrice.
Pour en vérifier la validité, le scientifique va imaginer une conséquence repérable de cette hypothèse et conduire l'expérience la mettant en évidence … par une démarche rationnelle.
L'étape suivante est de développer toutes les conséquences de cette hypothèse dans une théorie … qui sera remise en cause lorsqu'une nouvelle observation sera en contradiction avec elle … et le cycle recommencera en recherchant un paradigme supérieur qui expliquera la théorie précédente comme une approximation de la nouvelle.
L’homme n’accède à la connaissance qu’à partir de ses expériences sensorielles qui sont limitées : il ne faut pas confondre.
• L'inconnaissable parce qu’il n’est pas accessible à nos sens : par exemple la nature de Dieu
• L'indéterminable (théorème de Gödel) qui est une réalité prouvée, mais introuvable, ou une affirmation aussi indémontrable qu'irréfutable
• L'inconnu connaissable … qui attend d’être découvert !
Un problème simple à résoudre : comment joindre ces neuf croix par quatre traits de crayon … sans lever la pointe ?
Un petit casse-tête révélateur de notre mode de fonctionnement … comment faire rentrer dans le rang la dernière croix qui résiste ?
Si vous avez trouvé : passez à la page suivante … si vous n'avez pas trouvé … faites de même.
La solution ci-contre se passe de commentaire sur sa simplicité, mais il est intéressant de noter qu'il n'est pas évident de sortir d'un cadre implicite.
Un moyen de s'entraîner à cette ouverture d'esprit est de fréquenter des disciplines qui ne sont pas celles de son métier pour s'habituer à d'autres manières de regarder les problèmes : ce n'est pas dans le normal et l'habituel que se trouve l'innovation.