Annoncer que, dans notre environnement actuel, l'avenir est imprévisible est à la fois juste et faux : cela dépend de la nature de ce qui nous préoccupe. On ne sait prédire le temps qu'il fera dans un mois, mais on sait quand même qu'il fait plus chaud en été qu'en hiver.
Dans le monde de l'entreprise, on rencontre le même mélange et la démarche de planification qui vise à formaliser la manière dont on perçoit le futur va devoir combiner des informations quasi certaines, d'autres de nature qualitative, mais à peu près fiable et quelques unes qui resteront incernables. Il va falloir structurer en un ensemble cohérent toutes ces informations qui ont des importances variées et dont le sens peut s'exprimer à des horizons différents.
Cette notion d'horizon dépend d'ailleurs beaucoup de la position de chacun dans la hiérarchie, mais on peut dire que celui de l'employé de base se mesure en jours, celui de la maîtrise en semaines, celui des cadres en mois, celui des directeurs en années … les présidents pourraient arriver aux décennies, mais cela dépend beaucoup de son activité : les bâtisseurs de cathédrales ou de pyramides ont un horizon différents de celui des dessinateurs de mode ou de conception de gadget informatique.
Lorsque l'on examine l'évolution d'une activité en fonction du temps, les variations constatées ne sont pas les mêmes.
• à court terme, on constate de petites fluctuations aux frontières : ce sont les phénomènes liés à la conjoncture,
• à moyen terme, ces variations s'estompent devant les effets de la tendance qui montre si l'activité est en croissance ou non.
• à long terme, on peut toujours constater s'il y a développement ou régression, mais ce qui est significatif ce sont les déformations du modèle
Chacun de ces horizons relève d'une approche méthodologique différente et les critères pertinents pour chacun d'eux ne sont pas les mêmes.
On peut établir une différence entre les notions de prévision et d'anticipation* sur la base du degré de certitude d'occurrence de l'événement étudié et sur notre aptitude à en favoriser l'apparition ou au contraire à l'empêcher.
Les sciences exactes peuvent être imprévisibles (l'équation logistique ou automate circulaire), mais elles n'en restent pas moins inéluctables. Les sciences humaines laissent une incertitude fondamentale … au moins si l'on croit en la mystérieuse liberté de l'homme … sinon sa complexité les rend quand même en grande partie imprévisibles.
La prévision nous laisse en position de subir alors que l'anticipation laisse un degré de liberté pour l'action … et donc de possibilité d'erreur.
La démarche de planification va donc conduire à imaginer quelles sont les évolutions plausibles pour l'activité en cause puis à en étudier les conséquences pour nous-mêmes afin d'identifier celle qui nous est la plus favorable avant d'agir immédiatement et dans la durée pour la faire advenir
• Lorsque l'on raisonne à long terme, c'est le marketing stratégique qui est en première ligne avec pour objectif de choisir l'Orientation à donner à l'activité, c'est la préoccupation du "vers où" nous voulons aller, associée à la notion de destination. Le travail à conduire est les "réflexions" stratégiques* dont les conclusions seront soumises à la décision de la DG … qui devra fournir durablement les moyens opérationnels correspondants (humains et financiers).
Il faut d'ailleurs considérer cette destination comme une ville étape : je m'explique.
Avec un client, nous avions mené une "réflexion" stratégique" pour en conclure que de plus gros producteur français d'un certain type d'acier, il était plausible de devenir le plus gros européen en tonnage. Le personnel y a cru et en cinq ans l'objectif était atteint ! Mais il en a résulté une formidable impression de délices de Capoue, le personnel étant arrivé … il n'avait plus rien devant lui : il nous a fallu imaginer une prolongation qui s'est traduite par "être le meilleur".
L'avantage de la notion d'orientation est qu'elle est sans fin, mais pour concrétiser les choses, préciser une étape intermédiaire est une bonne chose à condition d'être annoncée comme telle.
• Le moyen terme est le champ du marketing opérationnel dont le souci va être de trouver le chemin qui permettra d'avancer en direction de l'Orientation en valorisant au mieux les moyens existants. Il faut trouver "par où" pourra passer un itinéraire pertinent. Ces manières de faire sont des politiques qui, pour les préoccupations commerciales, se définissent dans le Plan marketing* (dont le Business Plan sera la déduction chiffrée). Ce sont les responsables du centre de résultat de l'activité qui sont en première ligne.
• Le domaine du court terme est celui des chefs de département qui doivent choisir que faire pour avancer le long de l'itinéraire choisi. C'est la préoccupation du comment avancer et donc du choix des tactiques à appliquer pour mener à bien les actions sur le terrain.
Pour illustrer ce propos, on peut examiner ce qui s'est passé lorsqu'il a été décidé de chasser l'Irak du Koweït et la manière dont je l'interprète.
• L'orientation stratégique a été de chasser les envahisseurs, mais sans les affaiblir au point d'en faire une proie tentante pour leurs voisins. Une contrainte était ajoutée : ne pas "casser du boy".
• Pendant six mois, il ne s'est apparemment pas passé grand-chose : le général en chef préparait les opérations. Pour répondre à la contrainte concernant ses hommes, il a choisi la politique (manière de faire) du combat de "l'épée contre le poignard", c'est-à-dire toujours utiliser une arme à plus longue portée que son adversaire pour rester à l'abri.
L'arme de Saddam qui avait la plus grande portée était ses radars : pendant plusieurs jours de suite des leurres informatiques ont simulé à très haute fréquence des attaques aériennes massives déclenchant des branle-bas de combat pour faire face jusqu'à ce que les traces s'évanouissent des écrans radars lorsque ces avions étaient censés arriver à proximité. Au bout de quelques jours, le personnel ne réagissait plus très vite et lorsque, au milieu des leurres, il y a eu un missile, il a atteint sans trop de peine son objectif. Fondamentalement, dès ce moment, l'issue de la guerre était inéluctable.
Devenu aveugle, les missiles et les avions ont pu neutraliser les pistes d'atterrissage avant de détruire les avions, cloués au sol, qui auraient été les armes à plus longue portée. A noter que, curieusement, une centaine d'avions ont réussi à fuir en Iran quelques jours après (ne pas tout détruire !).
C'est alors l'artillerie qui pouvait tirer le plus loin (quelques dizaines de kilomètres) : l'aviation s'est chargée de la neutraliser.
Les chars ont été la cible suivante avec leur portée de quelques kilomètres : ils ont subi l'assaut de l'aviation et de l'artillerie en restant hors de leur portée.
La dernière arme qui a été écrasée par l'aviation, l'artillerie et les chars a été l'infanterie devenue bien impuissante.
• Tactiquement lors du déploiement des actions sur le terrain :
On se rappellera la bruyante conquête d'un îlot à peine défendu au nord du golfe vers Abadan pour faire croire à un débarquement dans cette région et conduisant les irakiens à masser des troupes.
On a ensuite focalisé toutes les attentions sur la division Daguet qui remontait à mi-chemin de Bagdad dans une zone dégarnie de troupe. Pendant ce temps, plus discrètement, les divisions de blindés lourds remontaient le long de la côte en anéantissant tout sur son passage. On peut se demander si la mission de Daguet n'était pas d'empêcher les divisions d'élite, basées vers Bagdad, de voler au secours et de se faire massacrer … afin de laisser des forces suffisantes au régime de Saddam. De même, toute une division lourde irakienne a pu se mettre à l'abri en traversant l'Euphrate sur un pont qui n'a pas été détruit.
Je ne suis pas dans le secret des dieux, mais même si je me trompe partiellement, j'espère que cet exemple aura permis de saisir les différences qu'il y a entre stratégie, opérationnel et terrain.
Les horizons varient selon les activités.
Il est clair que les bâtisseurs de cathédrales ou de pyramides avaient pour horizon long terme les millénaires.
EDF pour ses centrales nucléaires doit raisonner à 75 ans (durée de conception-réalisation + durée de vie + démantèlement). La SNCF pour les voies ferrées a le même type d'horizon, mais pour ses rames de train, compte en décennies. La pharmacie fait de même avec 10 ans de développement suivi de 20 ans d'exploitation d'un médicament.
A l'autre bout du spectre, l'industrie des logiciels pense en semestres alors que le dessin de mode ne se projette guère au-delà de la saison.
Entre les deux, on trouve toute la gamme de durée. Il faut être bien conscient des différents horizons de ses activités qui ne sont pas les mêmes pour toutes.
Les différents horizons demandent aussi des implications majoritaires de différents niveaux hiérarchiques.
Les décisions stratégiques qui engagent pour longtemps, doivent être prises par la direction générale sur proposition du niveau (n-1).
Les choix opérationnels seront de même entérinées par ce niveau (n-1) sur recommandation de (n-2).
Les actions quotidiennes seront alors coordonnées par (n-2) sur avis des responsables terrains qui élaborent chacun leurs programmes d'actions.
Lorsque l'on conduit une réflexion stratégique, il faut réussir à s'extraire du brouhaha du quotidien pour admettre qu'après-demain sera, peut-être, totalement différent d'hier. Je recommande habituellement à la petite équipe qui conduit ce travail de considérer que l'horizon long terme est suffisamment éloigné pour qu'ils aient d'ici là connu des promotions qui les auront propulsés vers une autre activité.
Aucune hypothèse ne doit être rejetée a priori ; toutes doivent être étudiées. Il y faut beaucoup de vision.
Dans la réflexion opérationnelle, les moyens humains et matériels sont en place et n'auront pas le temps de changer fondamentalement : il faut trouver comment les valoriser au mieux … dans le respect de l'orientation stratégique. Il y faut de l'opiniâtreté.
Dans le combat quotidien, on fait selon les opportunités du moment.
Pour aider à repérer quelle est la durée des différents horizons, on peut se demander :
- Pour le long terme, quelle est la durée la plus longue qui est engagée par une décision cruciale pour l'avenir de l'activité : dans le monde industriel, c'est souvent l'investissement des machines qui est l'indicateur pertinent : un équipement doit souvent rester compétitif une dizaine d'années.
- Pour le moyen terme, le temps qu'il faut pour faire évoluer sensiblement le portefeuille de produits ou de clients. 2 à 3 ans est souvent nécessaire,
- Pour le court terme, le temps qu'il faut pour séduire un nouveau client ou la durée de (relative) fidélisation d'un client sont des repères qui ont du sens.
Les éléments à prendre en compte varient aussi en fonction de l'horizon considéré.
- Pour le long terme, tous des acteurs et facteurs doivent être examinés.
- Pour le moyen terme, seuls l'ensemble des consommateurs et les concurrents directs ont du sens.
- Pour le court terme, le champ de préoccupation se réduit à nos clients et à ceux qui viennent y apporter des perturbations.
Le nombre d'entités à considérer augmente au fur et à mesure que l'horizon recule et, dans le même temps, le nombre d'informations significatives se raréfie.
Lorsque l'on élabore un plan aujourd'hui, il faut bien en saisir la double facette qui veut que l'on va faire tout ce qui est raisonnable pour que la réalité devienne ce que l'on a imaginé … tout en sachant que des évènements imparables (l'évolution d'un facteur d'environnement) ou des aléas ou la volonté contraire d'autres acteurs viendra le compromettre.
Lorsque les hypothèses sur lesquelles il a été bâti se révèle irrémédiablement modifiées, il est inutile de s'obstiner : il faut le repenser. Tout le difficile est d'être assez opiniâtre pour forcer le destin … sans être entêté. Où est la frontière ?
Le schéma ci-contre schématise les étapes d'un système de planification avec la typologie concernée à chaque stade lors du travail à accomplir puis ce qui ressort de chaque effort.