Pascal a identifié au sein de tout homme ce qu’il appelle des ordres :
- Dans un langage désuet aujourd’hui, il évoque d’abord la "chair" siège de toutes nos pulsions, entraînant, si nécessaire, le recours à la force pour les satisfaire. Certains peuvent y rester trop limités comme le sont, je crois, les animaux. Ce sont cependant des auxiliaires indispensables pour notre survie et des moteurs puissants de l’action, mais qui peuvent conduire au meilleur comme au pire s’ils ne sont pas canalisés par les ordres supérieurs.
De nos jours, on évoquerait plutôt la dimension animale de nous-mêmes
- Il y a ensuite l’ordre de "l’esprit" qui est celui de la raison. Sur terre, seul l’homme en semble doué par cette capacité à s’examiner lui-même dans une réflexion pour arriver à des conclusions par des déductions à partir d’hypothèses de départ. Le remarquable est d’être capable de savoir qu’au départ de tout le raisonnement il y a des suppositions - aux noms divers selon les disciplines (paradigmes, axiomes, postulat, prémisses, …) - dont nous sommes conscients qu’ils peuvent être erronés. A ce stade, il me semble que l’éthique n’a pas encore sa place.
Aujourd’hui, compte tenu de l’amalgame qui existe dans les dictionnaires entre âme et esprit, l’expression raison ou intelligence réflexive paraîtrait plus juste pour englober en particulier les mondes de la philosophie ou des sciences.
- Au-dessus, Pascal place l’ordre du “cœur” espace symbolique qui devient le siège de l’amour compris comme la volonté de contribuer au bien de l’autre. Interviennent alors les notions de valeur, des finalités et des moyens … même si parfois, l'homme évite de s'interroger à ce sujet.
C’est le lieu du plus intime de nous-mêmes, l’homme intérieur, siège de la vie spirituelle, domaine du difficilement (voire de l’impossible) communicable : l’univers des mystiques.
Bien évidemment, ces trois ordres cohabitent en nous : un réel souci de vouloir du bien à une personne peut s’accompagner d’une compréhension des raisons qui amènent à cette attitude et d’une attirance tout à fait incarnée. Aucun de ces ordres n'est négligeable, mais il faut qu'ils soient ordonnés les uns aux autres.
En fait, Pascal reprend là une idée déjà exprimée par exemple par Jean TAULER, dominicain qui a vécu au XIV siècle.
Dans l'entreprise, il est clair que l'ordre de la chair, tout spécialement par la dimension recherche du développement et lutte contre la concurrence (externe, mais aussi interne !), est omniprésent.
Celui de la raison est très valorisé, mais souvent avec une grande attention apportée à la rigueur des déductions et un survol beaucoup trop rapide des bases sur lesquelles ce raisonnement est bâti (Combien de fois ai-je vu des responsables se précipiter sur une solution avant d'avoir clairement posé le problème ! J'en ai même vu qui arrive à répondre à côté d'une question … avant que l'on ait eu le temps de la poser !).
L'ordre du cœur est apparemment le parent pauvre dans les affaires à la fois parce que certains trouvent "profitables" de ne pas faire entrer en ligne de compte les préoccupations de cet ordre, mais aussi parce qu'une pudeur mal placée nous retient de dire aux acteurs de son activité : "je t'aime" … même si, dans les faits, on le reconnaît avec d'autres mots (bonne ambiance, …) et si de plus en plus de sociétés édictent des règles d'éthiques.