L'analyse des processus a permis d'identifier les compétences qui sont nécessaires pour les faire fonctionner d'une manière performante.Il faut maintenant articuler entre elles ces compétences qui sont incarnées dans des personnes avec leurs aptitudes à valoriser, leurs tempéraments et … leurs limites.
Pour arriver à une indispensable coopération agréable entre les membres du personnel, il faut clairement préciser qui fait quoi et avec qui.
Beaucoup d'ambitieux veulent du pouvoir, mais celui-ci n'est pas premier. Il ne se justifie que dans la mesure où il est indispensable à l'exercice d'une responsabilité qui n'a de sens que pour obtenir un résultat.
Il convient donc de définir d'abord le but puis d'en déduire le pouvoir … et non donner un pouvoir en laissant liberté au titulaire de s'en servir au mieux.
Il faut noter qu'un hiérarchique garde toujours la responsabilité de ses collaborateurs même lorsqu'il leur en a délégué certaines. Par contre, il doit considérer que, jusqu'à décision contraire, il perd les pouvoirs qu'il confère.
Lorsque l'on a reçu une responsabilité et donc un pouvoir qui est une délégation reçue "d'en haut" encore faut-il ensuite qu'il soit reconnu "par en bas" sous forme d'une autorité non contestée : c'est la vraie mesure de la pertinence de la délégation.
Il est fréquent qu'une décision doive impliquer plusieurs collègues (par exemple lors des points clés des processus). Tous les participants sont alors coresponsables de cette décision … ce qui ne veut pas dire qu'elle est la même pour tous.
On peut ainsi distinguer (dans mon langage) les responsabilités suivantes :
- Orienter : donner les axes prioritaires qui guideront le choix des décisions. Engage la hiérarchie émettrice à respecter les décisions qui y seront conformes.
- Recommander : s'efforcer de trouver des idées pertinentes à présenter de soi-même à celui qui devra décider. Ce dernier se doit de les prendre en compte.
- Conseiller : répondre à une demande d'un décideur qui ne pose la question que si bon lui semble. Le conseilleur doit chercher à élaborer une solution adéquate.
- Aviser : le décideur est tenu de consulter auparavant l'expert doté de ce pouvoir.
- Décider : choisir parmi les solutions plausibles celle sur laquelle les efforts seront focalisés. Cette décision doit être conforme aux orientations … ce qui limite la liberté du décideur.
- Exécuter : compte tenu des moyens alloués et de la décision, faire — ou faire faire — ce qu'il convient pour atteindre le résultat. Deux nuances :
- conduire : animer une tâche d'exécution en étant le supérieur hiérarchique de ceux qui font le travail,
- piloter : animer une tâche d'exécution sans être le supérieur hiérarchique de ceux qui font le travail.
- Réguler : contrôler l'avancement du chantier avec deux types de pouvoir en cas de dérive par rapport au prévu : alerter qui de droit, prendre les mesures correctrices puis alerter.
Chaque type de responsabilité, et donc de pouvoir, exige que celui qui la reçoit dispose de la marge de liberté correspondante. Il n’y a aucune responsabilité à exécuter un ordre dont les modalités d'exécution sont connues … sauf à le refuser vis-à-vis de sa propre conscience.
La variété des responsabilités permet de personnaliser le degré de délégation à deux collaborateurs qui remplissent la même fonction. Pour aider un manager à choisir le niveau de responsabilité qu'il est sage de confier à un collaborateur, on peut rappeler qu'en droit un individu n'est reconnu responsable que s'il est capable de discernement et de contrôle de ses actes. Dans l'entreprise, le manquement au deuxième critère est rare et c'est donc le premier qui est la clé dominante … ainsi que St Benoît l'a exprimé il y a fort longtemps.
Pour un même individu, l'étendue de la délégation peut aussi varier donc en fonction de critère comme le montant à engager.
Pour illustrer la variation de la responsabilité en fonction de la phase : une anecdote.
Chez un client les responsables de la recherche et de la production d'une matière plastique s'accrochaient sévèrement chaque fois qu'un essai devait être réalisé sur un équipement industriel. Chacun voulait le pouvoir de décider : l'un parce que c'était un essai réalisé à l'initiative de la R&D et l'autre parce que c'était son atelier. Après discussion, la solution a consisté à préciser les choses lors du déroulement du processus :
- Lors de la discussion sur la composition de la mixture qu'il fallait traiter, le producteur "avise" sur ce qu'il pense qui sortira de sa machine et c'est le chercheur qui "décide" de la formulation à tester.
- Lors de la conduite de l'essai, les paramètres de conduite de la machine sont "recommandés" par le chercheur et c'est le producteur qui "décide" de ceux qui ne risquent pas d'entraîner un bris.
- En cas de désaccord, il fallait revoir la formulation et recommencer le circuit ci^dessus.
Cette équipe opérationnelle avait la responsabilité de la conduite, de la coordination de l'activité, du marketing, du commercial et de l'assistance technique ainsi que le pilotage, par le chef de département lui-même, de la production et de la R&D. Ses rapports avec ces entités, ne dépendant pas hiérarchiquement de lui, ne sont pas traités ici, mais il est aisé de deviner que sa responsabilité s'est exercée essentiellement par les pouvoirs d'orienter, d'aviser et de réguler.
Il est bien connu que certains patrons n’inspirent que peu de respect à leurs collaborateurs, mais pour une raison ou pour une autre, ils ont reçu un pouvoir qui leur donne une force leur permettant d’imposer leur volonté … jusqu’à ce qu’ils soient renversés par une révolution de palais ou par la prise de conscience de leur propre hiérarchie qui les replace à leur juste niveau.
D’une certaine manière, on peut dire que le pouvoir est délégué par la hiérarchie et l’autorité concédée ou reconnue par les subordonnés.
A l’inverse, certains collègues n’ayant aucun pouvoir sur vous peuvent se faire entendre grâce à leur autorité naturelle, combinaison de compétence, de charisme et de clairvoyance.
Dans le monde de l’entreprise, il convient donc de choisir le responsable de collaborateurs non seulement en fonction de sa compétence, mais aussi de son charisme qui l’aidera à avoir de l’autorité. Lorsqu’un chef de projet doit coordonner les efforts d’une équipe pluridisciplinaire, il ne dispose pas du pouvoir hiérarchique : il est primordial de s’interroger sur sa capacité à faire preuve d’autorité.
L’autorité, dans cette vision, ne peut pas imposer, mais doit convaincre. De ce point de vue, le "pouvoir de recommander" sera énormément renforcé s’il exprime les idées d’une personne rayonnante d’autorité … ce qui explique la puissance potentielle de ce pouvoir qui paraît bien modeste : comment pourrait-on ne pas agréer une recommandation judicieuse ?
Bien évidemment, l’autorité demande un minimum de compétence, mais surtout une bonne dose de sagesse permettant de voir juste.
Si l’étude d’un problème montre qu’il en existe une solution, celui qui dispose du pouvoir de décider n’aura pas de difficultés à fixer son choix, mais celui des collaborateurs qui aura trouvé la solution pourrait le faire seul. C’est une meilleure intelligence de la situation qui permet souvent à un patron ou à une équipe collaborante de transformer un problème en solution.
Plus d’une fois, l’intelligence collective ou individuelle ne permet pas de voir clair dans une situation ou de trancher entre plusieurs alternatives qui apparaissent équivalentes dans l’instant alors que l’on devine qu’elles ne le seront pas du tout à terme. Lorsqu’il n’y a pas urgence à trancher, il est bon de mettre la décision en différé, mais en continuant d’y réfléchir ou d’y travailler, mais il faut souvent trancher dans l’aléatoire … en risquant de compromettre sa position actuelle si on sélectionne la mauvaise anticipation.
Un esprit très intelligent sera performant dans l’analyse, mais une perception trop lucide de l’incertitude peut le paralyser face à la décision. Pour choisir, il faut parfois un peu d’inconscience … mais le plus souvent du courage. Il est alors important de rester conscient de la dimension "pari" contenue dans la décision afin d’être en éveil face aux signaux d’évolution de la situation : on ne force pas le destin sans obstination … mais sans faire preuve d’entêtement. Revenir sur une décision est encore plus difficile que de l’avoir risquée car il faut reconnaître l’erreur initiale.
Lorsque tous les processus ont été étudiés, on a défini tous les moments où il convient de prendre une décision et donc distribuer les objectifs, les responsabilités et les pouvoirs. Chaque membre va ainsi se trouver à la tête d'une série de ces triades, ce qui va permettre de définir son poste.
Bien évidemment, un hiérarchique, puisqu'il garde la responsabilité de ce qu'il délègue, ne peut attribuer à un collaborateur plus que ce qu'il a reçu. Cependant, cela n'empêche pas que chaque fois que la hiérarchie concernée en est d'accord (souvent), je présente au collaborateur l'étendue du pouvoir dont dispose son patron en lui demandant de choisir l'étendue qu'il souhaite laisser à son supérieur … mais que celui-ci devra entériner ! Je témoigne qu'il est très rare qu'un collaborateur ne revendique pas le juste niveau correspondant à son niveau de compétence … quitte à préciser que lorsque certaines de ses aptitudes auront été transformées en compétences supérieures, il demandera plus de responsabilité. C'est un excellent moyen de faire jouer le principe de subsidiarité … et de créer du temps libre pour que le patron se concentre sur ce qui fait sa valeur.
L'utilisation performante des pouvoirs doit être évaluée par des critères associés. Il n'est pas toujours possible de les choisir dans l'ordre du quantitatif. Dans la mesure où ils sont des outils pour évaluer le collaborateur, il est prudent de se demander comment celui-ci peut les exploiter, voire les détourner au mieux de ses intérêts personnels et donc préciser qu'une fluctuation due à un phénomène étranger à l'exercice de la responsabilité et donc de l'objectif à atteindre sera neutralisée : l'important c'est l'objectif non l'outil de mesure de l'état d'avancement.
J'en parle d'autant plus savamment qu'un de mes patrons m'avait imposé une prime de rendement basé sur un critère précis alors que je lui avais bien précisé que je n'avais pas besoin de cela pour aller dans le bon sens. Je me suis ensuite surpris, lorsqu'un choix était légitimement possible, à choisir celui qui m'était le plus favorable … ladite prime n'a pas survécu longtemps !