La détermination aussi rationnelle que possible des devenirs plausibles d'une activité suivi du choix du plus souhaitable par la direction générale, n'empêchera pas que cette décision ne deviendra réalité que si tous les membres de l'entreprise y contribuent.
La résistance au changement, même dans les situations désespérées, est un phénomène qui ne peut être négligé : il faut trouver comment mobiliser les collaborateurs pour qu'ils se motivent et fassent que le futurible désiré devienne le futur.
Une évolution de la culture de l’entreprise doit accompagner un changement d’orientation stratégique
La conduite d'une Réflexion Stratégique conduit souvent à choisir une Orientation Stratégique nouvelle. Il ne suffit pas de le dire pour que cela devienne réalité : ce sont les membres de l'entreprise affectés au DAS en question qui vont devoir impulser et soutenir le changement.
Il faut réussir à les mobiliser sous une forme leur permettant de se motiver pour accepter et surmonter les habitudes acquises qui sont le reflet de la culture fruit du passé. Sauf situation dramatique, il ne faut pas la casser, mais en exploiter les valeurs utiles et, sans trop s'étendre sur celles qu'il faudra abandonner, se focaliser sur les nouvelles à acquérir.
Le choix des responsables qui devront conduire ce changement est primordial. Le tempérament du leader est fonction de la stratégie à mener : ce n'est pas à Murat, prodigieux dans l’attaque, que Napoléon a confié la retraite de Russie, mais au sage Ney. Il vaut mieux choisir un jeune loup pour se développer, un sage pour traire une rente de situation et un ancien pour fermer une activité.
Pour que le personnel se motive, il faudra lui permettre de s'approprier les motifs du choix, mais aussi lui présenter la problématique à surmonter, puis le défi à relever sous une forme qui le touche au cœur autant qu'à la tête. C'est la totalité de l'être qu'il faut viser.
Il faut aussi que la communauté dans son ensemble se sente concernée. Pour cela, il faut prendre en compte sa culture qui est le fruit du passé, de son histoire. Sauf si elle est devenue trop délétère, il faut s'appuyer sur elle pour éviter des blocages sociologiques : combien de projet de fusion n'ont-ils pas capoté par suite d'une incompatibilité culturelle entre les futurs partenaires …
Une inflexion, et a fortiori un chamboulement dans une Orientation Stratégique d'une activité ou de toute une entreprise, va demander une évolution et plus rarement une révolution de la culture de l'entreprise. Il va falloir concilier la projection dans l'avenir que représente le nouveau projet avec l'inertie du passé.
Pour exprimer sa pensée, on peut utiliser deux types de langage ouvert ou fermé. D'une manière un peu caricaturale, on peut dire que :
- Le langage fermé est celui des scientifiques : il cherche à donner à chaque mot une définition très précise ne permettant aucune interprétation sémantique. C'est un outil très fort, car incontournable, mais qui ne mobilise que l'intelligence de son interlocuteur.
- Le langage ouvert est celui des poètes : il suggère plus qu'il n'explique. Il permet des interprétations variées. Il fait appel à l'irrationnel tout autant qu'au rationnel.
Il est indispensable que les motifs de la nouvelle orientation soient exprimés en langage fermé, mais que le projet pour l'avenir fasse sa place au langage ouvert. L'imagination des collaborateurs doit se sentir sollicitée pour se mettre au service de la finalité
Le projet doit exprimer l'Orientation, mais, pour servir de guide à la nouvelle culture, il faut aussi expliciter les Règles du Jeu (incluant celles de nature éthique).
L'intérêt de préciser ces principes est de permettre aux collaborateurs de faire preuve d'initiatives en étant sûrs d'être contributifs à l'ambition de l'ensemble. Plus les collaborateurs sont capables de décider seul, mais juste … plus les responsables peuvent se consacrer à ce qui fait leur valeur : analyser pour comprendre le contexte afin de bien choisir.
Il faut évidemment qu'il y ait une cohérence entre les Règles du Jeu et la culture souhaitée pour l'entreprise : les collaborateurs sont aujourd'hui trop intelligents pour pouvoir les manipuler bien longtemps !
La mise en œuvre de l'Orientation Stratégique demande de se préoccuper des moyens d'améliorer la performance dans le sens de la nouvelle Orientation : il faut donc définir les chantiers de changement qui permettront d'améliorer l'efficacité (atteindre le résultat) souvent tourné vers l'extérieur de l'entreprise et l'efficience (dépenser le moins d'énergie possible pour être efficace) qui concerne plutôt le fonctionnement interne.
Ces chantiers concernent bien évidemment les moyens matériels à mettre en place (organisation et investissement dont R&D), mais aussi la dimension humaine et irrationnelle liée aux phénomènes collectifs de la culture et individuel du comportement des individus.
Pour aider au choix du type de culture que l'on désire implanter, on peut s'aider de la grille ci-dessus qui croise le degré d'ordre régnant dans l'entreprise (découlant de la rigueur de son organisation) et le sens que ses membres lui trouvent.
Dans les jeunes entreprises, le but commun est bien perçu, même s'il est souvent implicite, mais l'organisation est assez informelle … pour ne pas dire plus : c'est une bande vivant en communauté !
Lorsque l'ensemble devient plus vaste, il faut s'organiser, mettre en place des normes non seulement pour permettre de s'y retrouver, mais aussi pour empêcher les abus. Le grand danger est que le respect du règlement devienne le seul but en ayant plus ou moins perdu le sens de sa raison. Les grandes administrations publiques sont souvent sur ce modèle, même si la notion de service public reste forte, mais plus avec la conviction que c'est le respect du règlement qui assurera ce service … parfois sans trop se préoccuper de la personne qui est censée en bénéficier.
Impliqué dans la vie d'une mairie, j'ai été frappé de la bonne volonté de ses fonctionnaires, mais constaté qu'ils me parlaient plus souvent de l'importance du respect de la tutelle de la préfecture que de leurs assujettis ! On m'a plus souvent expliqué ce qui peut empêcher une réalisation que de ce qui peut la faciliter … mis à part l'obtention d'une subvention … si on respecte les normes de la tutelle.
Lorsque l'on rencontre une entreprise dont le personnel ne sait plus où elle veut aller et dans laquelle chacun fait de son mieux … on peut être certain qu'on ne la verra plus longtemps ! La faillite est imminente.
L'idéal est évidemment de réussir à allier un ensemble bien organisé avec tout le dynamisme résultant d'un sens commun fort. Certaines grandes entreprises avec des cultures fortes peuvent y répondre, Michelin en a la réputation, j'ai pu le constater chez Sodexo (probablement porté par le développement constant de l'entreprise qui est un très fort mobile de motivation : la fierté d'en être). Là où cet idéal me semble le plus flagrant est le cas des monastères où cohabitent un sens du but très partagé et une règle qui précise bien les règles du jeu et rarement ce qui doit être fait.
Bâtir une culture entrepreneuriale apparaît donc comme hautement souhaitable, car cela soulève l'enthousiasme, mais comme rien n'est jamais simple, il faut bien réaliser que les valeurs qui sous-tendent un tel projet peuvent être pour le moins indignes ou utopiques ou irréalistes.
Ce qui est valable pour les nations se décline de la même manière pour les entreprises : la sincérité des affirmations d'un projet d'entreprise peut laisser à désirer …